La méditation pour tous ?
le 17/11/2014 à 05:00 par Anne-Laure GANNAC.
Difficile d’y échapper : la méditation est devenue une pratique incontournable face au stress quotidien. Les scientifiques ont démontré ses bienfaits. Tout le monde s’y met.
Difficile d’y échapper : méditer semble est devenu une pratique incontournable pour faire face aux stress quotidiens. Les scientifiques ont démontré ses bienfaits. Des méditants nous donnent leur point de vue. Tout le monde s’y met. Seul dans son salon, au volant de sa voiture, à l’hôpital, avec ses collègues de chez Google ou Transport for London (pour ne citer que les entreprises les plus connues), par centaines devant un maître charismatique ou avec quelques novices réunis dans une salle de gym, en enchaînant des postures de yoga, ou en faisant la cuisine, en mangeant. Des millions d’entre nous s’adonnent désormais à cet « exercice délibéré d’attention à ce qui se passe moment après moment, dans le présent vivant – sans aucune attention ni conception1 ». Si la vague a pris forme aux États- Unis il y a environ quarante ans, elle n’a inondé la France que récemment. Collaboratrice de Jon Kabat-Zinn, biologiste américain, le premier à avoir proposé la méditation comme remède, Danielle Lévi Alvarès raconte que lorsqu’elle a rencontré le maître bouddhiste Thich Nhat Hanh au Village des Pruniers, dans la Dordogne, dans les années 1980, elle n’a pas compris : « Outre-Atlantique, il était une star, ses livres sur la pleine conscience rencontraient un immense succès. Mais en France, où il vivait, il n’était même pas publié ! Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : “Ça n’intéresse pas les Français.” »
Un attachement à la médecine traditionnelle
En cause, un puissant attachement à la médecine traditionnelle, une domination de la psychanalyse sur le champ psychothérapeutique, et une méfiance à l’égard de pratique teintée de spiritualité, vite soupçonnée de sectarisme. Mais les temps changent. Dans un contexte de crise économico-écologico- sociétale dont nul ne voit le bout, chacun part en quête d’un moyen de garder la tête hors de l’eau. Pour cela, les grands consommateurs d’anxiolytiques que nous sommes, cherchons des alternatives. Certes, il y a la psychanalyse et les psychothérapies, mais cela coûte souvent cher, dure longtemps et peine à trouver une place dans l’agenda. La méditation ? C’est gratuit, sans matériel, cela peut se pratiquer à tout moment. Et les témoignages de méditants « transformés » se multiplient, avec des preuves à l’appui : outre leur satisfecit personnel, une somme d’études scientifiques démontrant les bienfaits de la pleine conscience sur le cerveau et sur la santé. Au pays de Descartes, il n’en fallait pas plus pour convaincre jusqu’aux médecins les plus dubitatifs. Si la méditation trouve tant d’adeptes, c’est aussi parce qu’elle s’impose comme un contrepoint au « divertissement » propre à notre époque. Divertissement, d’abord, au sens de spectacle, du paraître dans lesquels chacun peut avoir le sentiment de ne plus se retrouver. Comme remède, la méditation propose un retour radical à ce qui se donne à voir et à ressentir ici et maintenant. Divertissement, aussi, au sens de diversion : dans une culture de l’hypersollicitation et de la démultiplication de soi entre écrans et réseaux sociaux, méditer invite à se « rassembler » en exerçant son esprit à être présent au seul présent. D’où sa promotion auprès des jeunes sujets aux troubles de l’attention. D’après le philosophe Fabrice Midal, fondateur de l’École occidentale de méditation, cette pratique vient répondre à une « crise majeure » engendrée par « un recours constant à l’abstraction scientiste » : convaincus du pouvoir supérieur de la science et de la raison, nous en sommes venus à nous abstraire du réel pour ne plus le considérer que comme une somme d’objets mesurables.
La méditation promeut le lâcher-prise
Face à ce fantasme de contrôle, la méditation promeut le lâcher-prise et le retour à sa place d’être vivant parmi les autres – ce qui entre d’ailleurs en résonance avec la mouvance écologique. Fabrice Midal évoque aussi la « crise du savoir » : à ceux qui ne veulent plus croire aux grandes leçons faites à des amphis d’étudiants, la méditation montre que la connaissance du monde et de soi est le fait d’une expérience personnelle ; même si la figure du maître est incontournable, l’expérience vécue par le méditant demeure son seul point de référence. Puis, quoique la compassion et l’altruisme en soient les corollaires, méditer, c’est d’abord être seul avec soi et ses pensées. Des aspects qui séduisent à l’ère de l’individualisme et du narcissisme. Alors, tous méditants demain ? Fabrice Midal nous souffle la réponse quand il estime que « la méditation est à l’esprit ce que la gymnastique fut, au début du XXe siècle, pour le corps ».
Or, s’il y a aujourd’hui une majorité de personnes pour dire que la gym est indispensable, il en reste quantité d’autres pour refuser de s’y mettre. Surtout quand cette « gym » est soudain présentée comme « la » solution à tous les maux. « Croire que la méditation va changer le monde relève d’une grande naïveté : elle ne remplace pas la pensée, estime Danielle Lévi Alvarès. Aurions-nous plus de chance de sortir de la crise si nos dirigeants méditaient ? Peut-être… Mais peut-être pas : on peut être lucide sans méditer, bien des individus l’ont prouvé dans l’histoire ! » Promesse de clairvoyance sur soi et sur le monde, la méditation peut donner le sentiment d’avoir découvert la vérité. L’arrogance est un risque. De même que le repli sur soi et un désengagement de la vie sociale. En cause : le fait que beaucoup de gens apprennent la méditation sans évocation de la bienveillance et de l’altruisme ; deux piliers qui lui sont indissociables, mais qui sont ignorés par trop d’enseignants. Car comme toute mode, celle-ci a généré son lot de charlatans. Il suffit de voir comment la « pleine conscience » est mise au service d’ouvrages ou de sites promettant « réussite » et autres « succès » en totale incohérence avec les valeurs bouddhistes. Cette mode laisse aussi penser que la pratique de la méditation peut offrir à tous le bien-être immédiat. Or, il y a des contre-indications psychiatriques (psychose, crises d’angoisse…) Et surtout, si la pratique est simple, elle n’est pas facile.
Dans le silence de l’assise, les pensées et les jugements sur soi peuvent être très envahissants, sans parler de l’inconfort physique. D’après le bouddhisme, ce sont là des manifestations de l’ego qui ne supporte pas d’être réduit au silence. Ainsi, loin de nous aider à fuir nos difficultés, la méditation oblige à s’y confronter comme jamais. Mais, après des siècles de philosophie et de psychologie qui nous ont donné le goût de la lucidité, il semble que nous soyons prêts à payer ce prix.
Anne-Laure GANNAC.
le 17/11/2014 à 05:00 par Anne-Laure GANNAC.
Difficile d’y échapper : la méditation est devenue une pratique incontournable face au stress quotidien. Les scientifiques ont démontré ses bienfaits. Tout le monde s’y met.
Difficile d’y échapper : méditer semble est devenu une pratique incontournable pour faire face aux stress quotidiens. Les scientifiques ont démontré ses bienfaits. Des méditants nous donnent leur point de vue. Tout le monde s’y met. Seul dans son salon, au volant de sa voiture, à l’hôpital, avec ses collègues de chez Google ou Transport for London (pour ne citer que les entreprises les plus connues), par centaines devant un maître charismatique ou avec quelques novices réunis dans une salle de gym, en enchaînant des postures de yoga, ou en faisant la cuisine, en mangeant. Des millions d’entre nous s’adonnent désormais à cet « exercice délibéré d’attention à ce qui se passe moment après moment, dans le présent vivant – sans aucune attention ni conception1 ». Si la vague a pris forme aux États- Unis il y a environ quarante ans, elle n’a inondé la France que récemment. Collaboratrice de Jon Kabat-Zinn, biologiste américain, le premier à avoir proposé la méditation comme remède, Danielle Lévi Alvarès raconte que lorsqu’elle a rencontré le maître bouddhiste Thich Nhat Hanh au Village des Pruniers, dans la Dordogne, dans les années 1980, elle n’a pas compris : « Outre-Atlantique, il était une star, ses livres sur la pleine conscience rencontraient un immense succès. Mais en France, où il vivait, il n’était même pas publié ! Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : “Ça n’intéresse pas les Français.” »
Un attachement à la médecine traditionnelle
En cause, un puissant attachement à la médecine traditionnelle, une domination de la psychanalyse sur le champ psychothérapeutique, et une méfiance à l’égard de pratique teintée de spiritualité, vite soupçonnée de sectarisme. Mais les temps changent. Dans un contexte de crise économico-écologico- sociétale dont nul ne voit le bout, chacun part en quête d’un moyen de garder la tête hors de l’eau. Pour cela, les grands consommateurs d’anxiolytiques que nous sommes, cherchons des alternatives. Certes, il y a la psychanalyse et les psychothérapies, mais cela coûte souvent cher, dure longtemps et peine à trouver une place dans l’agenda. La méditation ? C’est gratuit, sans matériel, cela peut se pratiquer à tout moment. Et les témoignages de méditants « transformés » se multiplient, avec des preuves à l’appui : outre leur satisfecit personnel, une somme d’études scientifiques démontrant les bienfaits de la pleine conscience sur le cerveau et sur la santé. Au pays de Descartes, il n’en fallait pas plus pour convaincre jusqu’aux médecins les plus dubitatifs. Si la méditation trouve tant d’adeptes, c’est aussi parce qu’elle s’impose comme un contrepoint au « divertissement » propre à notre époque. Divertissement, d’abord, au sens de spectacle, du paraître dans lesquels chacun peut avoir le sentiment de ne plus se retrouver. Comme remède, la méditation propose un retour radical à ce qui se donne à voir et à ressentir ici et maintenant. Divertissement, aussi, au sens de diversion : dans une culture de l’hypersollicitation et de la démultiplication de soi entre écrans et réseaux sociaux, méditer invite à se « rassembler » en exerçant son esprit à être présent au seul présent. D’où sa promotion auprès des jeunes sujets aux troubles de l’attention. D’après le philosophe Fabrice Midal, fondateur de l’École occidentale de méditation, cette pratique vient répondre à une « crise majeure » engendrée par « un recours constant à l’abstraction scientiste » : convaincus du pouvoir supérieur de la science et de la raison, nous en sommes venus à nous abstraire du réel pour ne plus le considérer que comme une somme d’objets mesurables.
La méditation promeut le lâcher-prise
Face à ce fantasme de contrôle, la méditation promeut le lâcher-prise et le retour à sa place d’être vivant parmi les autres – ce qui entre d’ailleurs en résonance avec la mouvance écologique. Fabrice Midal évoque aussi la « crise du savoir » : à ceux qui ne veulent plus croire aux grandes leçons faites à des amphis d’étudiants, la méditation montre que la connaissance du monde et de soi est le fait d’une expérience personnelle ; même si la figure du maître est incontournable, l’expérience vécue par le méditant demeure son seul point de référence. Puis, quoique la compassion et l’altruisme en soient les corollaires, méditer, c’est d’abord être seul avec soi et ses pensées. Des aspects qui séduisent à l’ère de l’individualisme et du narcissisme. Alors, tous méditants demain ? Fabrice Midal nous souffle la réponse quand il estime que « la méditation est à l’esprit ce que la gymnastique fut, au début du XXe siècle, pour le corps ».
Or, s’il y a aujourd’hui une majorité de personnes pour dire que la gym est indispensable, il en reste quantité d’autres pour refuser de s’y mettre. Surtout quand cette « gym » est soudain présentée comme « la » solution à tous les maux. « Croire que la méditation va changer le monde relève d’une grande naïveté : elle ne remplace pas la pensée, estime Danielle Lévi Alvarès. Aurions-nous plus de chance de sortir de la crise si nos dirigeants méditaient ? Peut-être… Mais peut-être pas : on peut être lucide sans méditer, bien des individus l’ont prouvé dans l’histoire ! » Promesse de clairvoyance sur soi et sur le monde, la méditation peut donner le sentiment d’avoir découvert la vérité. L’arrogance est un risque. De même que le repli sur soi et un désengagement de la vie sociale. En cause : le fait que beaucoup de gens apprennent la méditation sans évocation de la bienveillance et de l’altruisme ; deux piliers qui lui sont indissociables, mais qui sont ignorés par trop d’enseignants. Car comme toute mode, celle-ci a généré son lot de charlatans. Il suffit de voir comment la « pleine conscience » est mise au service d’ouvrages ou de sites promettant « réussite » et autres « succès » en totale incohérence avec les valeurs bouddhistes. Cette mode laisse aussi penser que la pratique de la méditation peut offrir à tous le bien-être immédiat. Or, il y a des contre-indications psychiatriques (psychose, crises d’angoisse…) Et surtout, si la pratique est simple, elle n’est pas facile.
Dans le silence de l’assise, les pensées et les jugements sur soi peuvent être très envahissants, sans parler de l’inconfort physique. D’après le bouddhisme, ce sont là des manifestations de l’ego qui ne supporte pas d’être réduit au silence. Ainsi, loin de nous aider à fuir nos difficultés, la méditation oblige à s’y confronter comme jamais. Mais, après des siècles de philosophie et de psychologie qui nous ont donné le goût de la lucidité, il semble que nous soyons prêts à payer ce prix.
Anne-Laure GANNAC.
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